La Chamade
Le Pantin
Mon oreiller a succombé, j’ai encore rêvé trop fort. 7h30, clap de fin, t’es parti.
Trois semaine de réveils en nage. Il est là, il me regarde comme l’imbécile que je suis à retourner cent fois l’histoire dans ma tête. Ses mains fines et longues, ses cheveux épais et noirs, ses yeux tout aussi sombres me font sentir comme une minuscule fourmi démunie au milieu de son royaume d’opulence à tous les niveaux. 1,85m d’arrogance et de fierté – à vrai dire son outrecuidance m’a toujours fascinée.
Il fut un temps où son corps à l’altitude indéniable le faisait complexer, si bien que sa démarche courbée ne s’accordait plus avec son comportement. Désormais droit comme un I, c’est pourtant à l’unanimité qu’on le classe toujours dans le rang des hommes au cruel manque de confiance en soi.
Obsédé par son apparence, peut être même un peu maniaque, c’est autour d’un Mojito que nous nous retrouvons après tant d’années sans nouvelles. Il est beau, rien n’a changé. Un verre, puis le second. Il m’invite à monter chez lui, à deux pas du bar. A son image, son appartement plus clean que clean me fait presque peur. On parle, on refait le monde, on boit, on rit… Comment décrire la déception qui m’envahit lorsque je sens qu’après une nuit d’amour, il allait disparaître à jamais? Non, non, non je ne veux pas. J’essaye de partir, mais sa maladresse m’attendrit. Je le vois comme un petit garçon, dont le but est de se prouver à lui même qu’il peut toutes les faire craquer rien qu’avec son beau sourire. Je reste. Le temps passe et mon désir pour lui grandit, mêlé à ce que je qualifierais d’un sentiment de prise au piège. Oui il m’a eue intellectuellement, mais non, il ne se passera rien, plus jamais. En un regard tout s’est éclairci entre nous. Je dois partir, parce que j’ai de la fierté aussi et je ne retomberai pas dans ses filets, mais aussi parce que la sienne est atteinte: finalement non, la proie facile ne flanchera pas. Il l'a compris.
A la hâte, il m’appelle un taxi et c’est extrêmement mal à l'aise que je rentre me coucher près de ma moitié. Il est 2h du matin quand je franchis le pallier de l’appartement quartier Montmartre où nous vivons. Pipi, les dents, au lit. Je serre du plus fort possible mon double, emporté par un sommeil lourd et profond. Le doute est parti.
Une soirée hors du temps, deux êtres dont les chemins se sont croisés, puis recroisé, puis recroisé. C’est assez difficile d’admettre et d’accepter qu’un homme dont on a partagé la vie devienne un étranger. On était jeunes et beaux, comme si chacun avait volé le meilleur de soit à l’autre, avant de laisser le temps faire les dégâts que l’on connaît.
Quelques mois d’amour, une soirée de retrouvailles, l’éternité pour se demander pourquoi tout a vacillé.